jeudi 24 septembre 2009

Transformation du paysage médiatique

Lors d’une conférence du TED, Clay Shirky présente de manière remarquable la mutation du paysage médiatique au travers d’exemples concrets. Le titre de son exposé :

« Comment les médias sociaux peuvent faire l'histoire »



Ci-dessous le texte traduit (par Scalino Corleone di Napoli) et quelque peu reformulé de cet exposé brillant :



Premier exemple – Vidéo pour aider à assurer l’inviolabilité d’une élection


Afin d’éviter que certaines personnes soient empêchées de voter lors de l’élection de Barack Obama des citoyens américains ont eu l’idée de créer un site Internet ou chacun pouvait publier des photos ou des films pris à l’aide de son mobile concernant toutes tentatives d’intimidation. Ceci devait fonctionner comme une sorte d’observation citoyenne pour aider à assurer l’inviolabilité du vote dans son ensemble. Ce qui compte, ici, ce n'est pas le capital technique, mais le capital social. Les outils deviennent socialement intéressants lorsque la technologie se banalise.


Nous vivons actuellement le plus fort accroissement de la capacité expressive dans l'histoire de l'humanité. Il n'existe que quatre périodes au cours des 500 dernières années où les médias ont suffisamment changé pour être qualifiés de « révolution » :


  • L’imprimerie au XVème siècle ;
  • Deux siècles plus tard le télégraphe puis le téléphone (communication bidirectionnelle à distance) ;
  • Ensuite il y a 150 ans, les photos, puis les enregistrements sonores et les films ;
  • Et enfin il y a 100 ans environ, la radio et la télévision (envoi de sons et d’images à travers les airs).
Au XXème siècle, si vous voulez vous adresser à un groupe, vous préparez le même message et vous le transmettez à tous les membres du groupe. Ce qui change avec l’Internet, c’est qu’il est le premier média dans l'histoire à posséder un support natif pour les groupes et la conversation en même temps. Là où le téléphone nous fournissait le schéma « un à un », la télévision, la radio, les magazines, … nous donnaient le schéma "un vers plusieurs", l'Internet nous fournit le schéma « plusieurs à plusieurs ».


Alors que les médias deviennent digitaux, le deuxième grand changement réside dans le fait qu’Internet est aussi le mode de transport pour tous les médias. Ce qui signifie que la téléphonie, la presse, la télévision,… migrent sur Internet. Il est de moins en moins vrai que les médias constituent seulement une source d'information, ils sont de plus en plus des sites de coordination. En effet des groupes de personnes qui voient, entendent, regardent, ou écoutent quelque chose peuvent maintenant se rassembler et parler entre eux au même endroit.


Et le troisième grand changement concerne chacun d’entre nous qui peut aussi être producteur et non plus seulement consommateur. Le même équipement, le téléphone, l’ordinateur, permet de consommer et de produire. C'est comme si, quand vous achetiez un livre, on vous offrait l'imprimerie avec. C'est un changement énorme dans le paysage médiatique.


Deuxième exemple – Les reporters du séisme du Sichuan


En Mai dernier, la province du Sichuan en Chine a connu un terrible tremblement de terre suivi en direct dans le monde entier. La population envoyaient des SMS, ils prenaient des photos des bâtiments, ils filmaient les immeubles qui tremblaient puis les téléchargeaient sur QQ, le plus gros service Internet chinois et ils twittaient. Tout ceci alors même que le tremblement de terre avait lieu les informations étaient communiquées. La BBC a pris connaissance du tremblement de terre chinois par Twitter. Twitter a annoncé l'existence du tremblement de terre plusieurs minutes avant que l'Observatoire Géologique américain n’ait publié quoi que ce soit à ce sujet. La dernière fois que la Chine avait subit un tel désastre elle avait mis trois mois avant de l'admettre.


Dans les premières heures, 9 des 10 liens les plus visités sur Twitter concernaient cette terrible catastrophe. En une demi-journée, des sites de donations fonctionnaient, recueillant des dons du monde entier. Une incroyable réponse coordonnée et globale.


Au début les autorités chinoises n’ont pas censuré l’information. Mais les citoyens ont commencé à comprendre que la cause de tant d’effondrement d’écoles était du à des fonctionnaires corrompus qui avaient reçu des pots-de-vin pour autoriser la construction de ces bâtiments en dehors des normes. Ainsi les journalistes citoyens ont commencé à communiquer à ce sujet. Une image incroyable, parue sur la couverture du New York Times, montrait un fonctionnaire local littéralement prostré dans la rue, devant ces manifestants, pour les supplier d’arrêtez de manifester. A cause de la politique de l'enfant unique, ces Chinois ont perdus toute la génération suivante. Quelqu'un qui a subi la mort de son seul enfant n'a plus rien à perdre et donc les protestations se sont poursuivies. Finalement les autorités ont craqué, ils ont commencé à arrêter les manifestants et à fermer des médias.


Dans le monde, la Chine dispose probablement de l'organisme de censure d’Internet le plus efficace, surnommé la Grande Muraille-Pare-Feu de Chine. Celui-ci supposait que les informations soient produites par des professionnels, qu’elles arrivent du monde extérieur pour la plupart, qu’elles soient publiées en morceaux relativement épars et qu’elles arrivent assez lentement. Mais tout comme la Ligne Maginot, la Grande Muraille-Pare-Feu de Chine était tournée dans la mauvaise direction, aucune de ces quatre caractéristiques n'était vraie lors de cet évènement. Les informations étaient produites rapidement, localement par des amateurs et avec une abondance si incroyable qu'il n'y avait aucun moyen de les filtrer au fil du courant. Le gouvernement chinois, qui depuis une douzaine d'années, avait contrôlé le web assez efficacement, n’avait plus comme option que de fermer des services entiers. C’est ce qu’il a fait, par la suite, avec Twitter pour le 20ème anniversaire de Tienanmen.


On assiste à une véritable transformation de tout l'écosystème. Le contrôle des producteurs de l’information n’est plus possible, autrefois la production d’information coûtait relativement chère, c’étaient une activité complexe et n’avait pas beaucoup de concurrence. Aujourd’hui nous baignons de plus en plus dans un paysage médiatique global, social, omniprésent et bon marché.


Mais le changement le plus important réside dans le fait que le public peut communiquer directement au public sans passer par des intermédiaires (si ce n’est pour le transport). Durant la dernière décade, la plupart des informations disponibles au large public étaient produites par des professionnels. Cette période est révolue, et ne reviendra jamais.


Troisième exemple – La campagne de Barack Obama


Au milieu de sa campagne, Barack Obama, sur son fameux site « My Barack Obama », a déclaré qu’il avait changé son opinion sur la FISA, « The Foreign Intelligence Surveillance Act » (loi du congrès pour la surveillance des puissances étrangères et de leurs ressortissants aux Etats-Unis). Il avait dit, plutôt dans la campagne qu'il ne signerait pas une loi qui autoriserait les opérateurs de télécommunication d'espionner des Américains sans mandat judiciaire. Mais au milieu de la campagne il déclare: « J'ai mûrement réfléchi et j'ai changé d'avis, je vais voter pour cette loi ». La réaction fut très rapide, nombre de ses supporters sur son site ont réagis fortement et publiquement à tel point qu’en quelques semaines ce fut le plus gros groupe. Obama publie un communiqué disant : « J'ai étudié cette question plus en profondeur et je vais quand même voter cette loi. Néanmoins je tenais à m'adresser à vous, pour vous dire que je comprends votre désaccord et que je suis prêt à prendre des coups sur ce point. »


Cela n'a fait plaisir à personne mais ses supporters mécontents ont réalisé qu'Obama ne leur avait jamais coupé la parole, ni tenté de cacher ce groupe, ni de le rendre plus difficile d'accès ou de le supprimer. L’équipe d’Obama a bien compris que son rôle sur my.barackObama.com était d'inviter ses supporters et non pas de les contrôler.


C’est ce genre de discipline qu'il convient de s'imposer pour utiliser ces médias avec une réelle maturité. L'idée que les professionnels diffusent des messages aux amateurs, s'éloigne petit à petit. Dans un monde où les médias sont globaux, sociaux, omniprésents et bon marché, dans un monde où ceux qui étaient précédemment spectateurs deviennent acteurs à part entière, les médias sont de moins en moins les artisans d'un message unique destiné à être consommé par des individus. Ils sont de plus en plus souvent un moyen de créer un environnement pour y rassembler et supporter des groupes.


Le choix auquel nous faisons face, n'est pas de savoir si c'est l'environnement médiatique dans lequel nous voulons opérer ou pas. C'est l'environnement médiatique que nous avons et la véritable question est de savoir commet pouvons-nous utiliser au mieux ces médias ? Même si cela conduit à changer la manière de faire que nous avons toujours suivie.

vendredi 4 septembre 2009

Qu’est-ce que l’entreprise 2.0 ?

En préambule la définition du père du terme « entreprise 2.0 », Andrew McAfee, apparu pour la première fois au printemps 2006 dans le « MIT Sloan Management Review » : « L’entreprise 2.0 correspond à une utilisation de plateformes sociales émergentes au sein de sociétés ou entre des sociétés, leurs partenaires et leurs clients ».

Une autre définition plus détaillée de Bertrand Duperrin, expert reconnu de la thématique : « L’entreprise 2.0 est la mise en œuvre d’un ensemble de moyens permettant l’éclosion de dynamiques portées par les individus dans le but d’adapter l’entreprise aux enjeux de l’économie de la connaissance et aux évolutions sociétales, sous contrainte de sa culture et de son contexte. »

En d’autres termes l’entreprise 2.0 est avant tout destinée au partage, à la collaboration, à l’émulation et au débat d’idées, à l’accroissement de la confiance et de la transparence et à l’émergence de l’intelligence collective. Ceci au service de l’innovation, de la résolution de problématiques complexes, de l’accompagnement au changement et de la gestion de la connaissance et des ressources. Les pratiques qui la composent vont à l’encontre du comportement consistant à se débrouiller pour apparaitre indispensable au bon fonctionnement de l’organisation et à la rétention d’informations dans le but d’assoir son pouvoir. L’objectif principal est de faire circuler mieux et plus vite l’information pertinente à la bonne personne au moment opportun. L’entreprise 2.0 est également un moyen efficace pour diminuer les situations de blocage telles que celles décrites dans les 8 moyens de saboter une organisation de l’intérieur édictés par l’armée américaine (1944) :

  1. Insistez pour que tout se fasse à travers des « canaux ». Ne permettez pas qu’on les court-circuite pour accélérer la prise de décision.
  2. Faites des discours. Parlez autant que possible et aussi longuement que possible. Illustrez vos « points » par des anecdotes et votre expérience personnelle. Ne jamais hésiter à faire des commentaires « patriotes » appropriés.
  3. Si possible créez des commissions pour tout, afin « d’approfondir et prendre en considération ». Faites les commissions les plus grandes possibles (jamais moins de 5 personnes).
  4. Soulevez des questions non pertinentes aussi fréquemment que possible.
  5. Chicaner sur le moindre terme dans la communication, les comptes rendus de réunion.
  6. Revenir sur ce qui a été décidé lors de la dernière réunion et remettre en cause le caractère opportun sur la table.
  7. Soyez un avocat du « faites attention », « soyez raisonnables » et enjoignez à vos collègues d’en faire de même et d’éviter de se hâter car cela pourrait les mettre dans l’embarras par la suite.
  8. Inquiétez vous du caractère convenable de chaque décision, demandez si telle ou telle action envisagée correspond bien aux règles du groupe ou pourrait entrer en conflit avec les principes des « échelons supérieurs ».

En allant à l’encontre d’un fonctionnement bureaucratique, en traversant les frontières des structures hiérarchiques hermétiques, en ouvrant le débat, en favorisant le dialogue synchrone et asynchrone, en agissant en amont et en aval de réunions physiques – ce sont là quelques éléments parmi d’autres qui permettent de prétendre que l’entreprise 2.0 apporte une contribution intéressante à ces problématiques de blocages ou de lourdeurs de fonctionnement.

L’entreprise 2.0 est d’abord une nouvelle philosophie de management mieux à même de relever les défis actuels et les outils ne sont là qu’en support et ne constitue pas une fin en soit. Elle doit servir à enrichir les processus existants et donner l’autonomie aux collaborateurs pour atteindre ses objectifs en fonctionnant en réseau. Du côté du manager il s’agit de lui mettre à disposition des outils et des manières de faire qui fassent en sorte qu’il ne soit plus submergé d’informations et n’ait plus le temps de faire ce pour quoi il a des compétences. Au contraire il doit être en mesure de se concentrer sur l’essentiel à savoir aider ses collaborateurs à atteindre leurs objectifs tout en ayant une bonne visibilité sur les tâches accomplies et à réaliser.

Références :

Blog de Bertrand Duperrin :
http://www.duperrin.com/
Blog de Andrew McAfee : http://andrewmcafee.org